Les modes de vie nouveaux ont fait disparaître les nanne , ces
berceuses que les mères chantaient à leurs enfants; les jeunes gens n'entonnent plus de serinati pour leur bien-aimée; les tribbiere des moissonneurs ne
résonnent plus sur les champs de blé... Depuis plus longtemps encore ont disparu les voceri , ces lamentations funèbres féminines. Si toutes ces créations ont disparu,
l'essentiel a survécu et le miracle s'est produit : en Corse, on chante encore et toujours. Ce miracle, en rempruntant les deux principales voies classiques du chant monodique et de la
polyphonie, permet d'apprécier une musique qui, même si elle a beaucoup évolué depuis les origines, conserve une authentique vigueur.
La paghjella , chant polyphonique, allie harmonieusement trois registres de voix : a seconda , qui attaque le chant, donne le ton et porte la mélodie ; u bassu , qui la suit, l'accompagne et la soutient ; enfin a terza ; la plus haute qui enrichit le chant. Si l'on recense ailleurs d'autre formes parentes, ce qui frappe dans la paghjella c'est son étonnante vitalité et son caractère profane.
Le cas du chjam'e rispondi est aussi fort original. Cette joute poétique improvisée, qui requiert des interprètes d'une virtuosité exceptionnelle, demeure fort prisé du public. Il m'est aux prises deux chanteurs qui improvisent successivement un court couplet avec des rimes et un nombre de vers bien précis, en se renvoyant l'un à l'autre des propos généralement satiriques. Cette forme d'expression semble menacée par le déclin de la langue corse.